Le bonheur, c'est simple comme un coup de Bihl

Publié dans le n°54 du magazine Longueurs d'Onde.

Écrire et chanter le bonheur paraît si facile que tant s’y risquent à s’y brûler la plume, à s’y casser la voix. L’amour en chanson c’est rarement pour le meilleur et souvent pour le pire. Chacun sait pourtant : Le bonheur, c’est simple comme un coup de Bihl !

Bihl

On la décrit réaliste, engagée, poétique, atypique, drôle et corrosive. Une plume acide trempée dans le volcan jamais éteint de la révolte et de l’indignation. Abordant des thèmes durs avec un art consommé de l’expression qui fait mouche et qui touche, une sincérité absolue : « J'ai jamais eu peur de m’attaquer à des sujets sous prétextes qu’ils sont épineux ou tabou comme le viol, l’inceste ». « Fifi Brin d’acier » d’une chanson française endormie et facile, elle fait irruption, tenace et rageuse en 2001 avec un premier album autoproduit : « La terre est blonde ». Elle confirme en 2005 et 2007 avec : « Merci maman, merci papa » et « Demandez le programme » (« De loin mon album le plus dur et le plus noir ! Je ne suis pas imperméable et immunisée à la douleur du fait d’être l’auteur des chansons. ») Cette affection, cette empathie, elle les porte sur scène comme une deuxième peau, tout en sérieux et en simplicité. La reconnaissance viendra de cet emportement vers l’autre, de cet engagement entier dans l’altérité.

Après deux ans de tournée, l’envie de faire évoluer son projet artistique lui fait songer à la suite : « J'ai eu un besoin farouche d’aller mieux ». Pour son quatrième disque, elle change de cap, décide de surprendre, d’apparaître ailleurs qu’à l’endroit attendu, trop attendu peut-être : « J'avais envie d’écrire sur autre chose ; je sais écrire sur la douleur, par contre je n’avais jamais écrit sur le bonheur. En tant qu’auteur j’avais envie de voir si j’en étais capable. L’écriture ne se résume pas à ce que tu sais faire ; je finissais par ne plus trop prendre de risque parce que je savais le faire. » Défi, aller à contre courant de soi-même, surprendre en commençant par se surprendre : « J'ai voulu traiter de sujets nouveaux pour moi, comme les chansons d’amour, de bonheur ou d’espoir. J’ai cherché la même sincérité et la même empathie dans « C'est encore loin l’amour », dans « Elle et lui » que dans « Touche pas à mon corps ». Offrir des chansons qui ne se contentent pas de fustiger les horreurs du monde, mais qui proposent, qui ouvrent des fenêtres sur un espoir ». Plus qu’une gageure, c’est aussi une mise en exergue de ce qui commence à pouvoir être qualifier d’œuvre, la recherche d’une complétude : « La rage et la colère qui ne cessent de m’habiter n’en prennent que plus de poids si elles sont complétées par un autre éclairage, quelque chose qui relève de la résistance positive ». Changement de fond.

« L'art naît de contraintes » disait André Gide ; la grande force d’Agnès Bihl dans « Rêve général(e) » est de s’en être imposées sans que cela transparaisse un instant dans le résultat : « Je me suis plus astreint à de contraintes stylistiques ici, que sur mes précédents disques ». Passer de la douleur à la douceur n’est pas que l’affaire d’une lettre. Le fond c’est la forme, car dit-elle : « Quand tu traites une chanson sur l’inceste tu essayes d’être au plus juste, au plus proche, au plus pudique du sujet, et quelque part le style tu t’en fous ». Contrainte sur la forme (« Elle et lui » est écrit en octosyllabes avec rime à la césure ») contrainte sur elle-même (« … dans la mesure où je ne me suis pas cachée derrière les sujets ») et contrainte sur l’autre (« Je me suis confronté à l’écriture du duo, non pas des chansons adaptées pour deux personnes, mais des chansons que je ne peux pas chanter toute seule ! »). Et toujours dans le viseur l’idée de donner le meilleur de soi-même : « Soit on s’en fout, soit ça touche et pour que ça touche, faut pas être en dessous ». Changement de forme.

Elle est donc partie faire un tour à Cussy-la-Colonne, en Bourgogne (« 54 habitants, pas un troquet ») chez Didier Grebot (« le couteau suisse d’Yves Jamait »), puisqu’il a réalisé avec lui ses deux derniers disques d’or. Et elle s’est fait avoir : « Didier m’a posé un guet-apens, il a amené Dorothée Daniel, une pianiste de Dijon, comme compositrice ». Rencontre, surprise et départ difficile : « Au début on se regardait du coin de l’œil, elle d’en haut, moi d’en bas. Passé les premières heures, ça a fait driiing ; un peu comme quand, dans la baignoire, tu retires la bonde, que tout se vide… Tout a disparu d’un coup ». Bonheur simple et facile, fluide : « Je suis très difficile à mettre en musique, mes compositeurs d’avant s’en sont pris plein la gueule. Mais sur ce disque-là, il y a eu une belle évidence avec Dorothée. Et grâce à elle, je me suis rendu compte que je pouvais aussi composer la musique ! On a fait ensemble les deux tiers de l’album et ça a été un bonheur et un vrai plaisir de travailler ensemble. » Aujourd’hui Dorothée l’accompagne sur scène, ainsi qu’une partie des musiciens bourguignons : « Didier a fait appel aux bonnes personnes, Sébastien Bacquias, Jérôme Broyer, Samuel Garcia, Arnault Cassina l’ingénieur du son, super musicien, les cuivres des Babylon Circus… Et tout ça s’est fait super naturellement. »

Rencontres et duos. Avec Alexis HK : « Sur le précédent album, il m’avait composé une chanson, j’ai joué dans son clip, c’est une histoire assez ancienne ». Avec Grand Corps Malade : « On se connaît depuis super longtemps, mais au début il a dit non. C’était pourtant du sur mesure. Je lui ai lu le texte au téléphone. Gros silence… ». Résultat le titre : « Je t’aime que moi » et toujours cette écriture en dentelle fine. Avec Didier Lockwood, autre contrainte : « Je lui avais demandé de me donner un cours de tango, pour éviter le goût tango, comme le goût bacon dans les chips… et c’est la première fois que j’écris un texte sur une musique pré-existante ». Elle raconte que pendant la séance d’enregistrement, elle voit qu’au dos du violon, il y a écrit en latin : « Portes ma voix autour du monde pour abattre les murs entre les peuples »… Une belle définition d’Agnès Bihl, une rêveuse générale !

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