Richard Gotainer : Des tubes et des pubs !

Richard Gotainer

Richard Gotainer, lesquels sont arrivés en premier, les pubs ou les tubes ?

Richard Gotainer : C’est par la pub que j’ai commencé à devenir professionnel. Faire des trucs, des amuseries, des sketches… j’en ai fait depuis que je suis tout petit, j’ai toujours chanté dans le fond des autocars. Par cette envie de faire de la fantaisie, de raconter des histoires, je me suis retrouvé dans une agence de pub. C’est une passion qui m’est venue de mon père lorsqu’il m’a offert un magnétophone et très rapidement j’ai été attiré par la pub sonore. Comme j’aimais bien la chanson, je travaillais en amateur, avec des copains musiciens, à faire des campagnes, que l’on ne me demandait pas !

Petit à petit, sur la route de ces trucs qui ne se vendaient pas puisque l’on ne me les avait pas demandés, j’ai eu envie de faire des chansons. Pratiquement en parallèle je suis devenu faiseur de chansons publicitaires et faiseur de chansons tout court, ou plutôt toutes longues ! Qui a commencé le premier ? On s’en fiche un peu, c’est la même histoire, disons que dans une pub, il n’y a pas de profondeur et que dans une chanson il peut y en avoir plus moins. Certaines remuent les tripes, d’autres font bouger son cul ! La chanson serait un peu plus noble et la chanson publicitaire un peu moins, quoique !!

 

Je ne parle pas de jingle, mais bien de chanson publicitaire. À un moment donné, on a appelé ça jingle car tout ce qui bougeait dans la pub devait avoir un nom anglais, comme les toubibs du XVII° siècle qui parlait latin, pour rendre plus abscons quelque chose qui n’est pas très sorcier.

 

Le danger de la pub maintenant c’est qu’elle fait de la communication et qu’à force de faire de la communication, les gens ne parlent plus. Ils sont empêtrés dans des concepts marketing, alors que le marketing n’a jamais donné la moindre idée de création, il délimite le périmètre du jardin dans lequel vous pouvez jouer, mais il ne dit pas à quoi jouer !

 

La pub n’invente rien ?

Richard Gotainer : En ce moment la musique en pub n’est absolument pas créative. Ils achètent des cover de titres anglo-saxon, Stevie Wonder, J.J Cale… de très bonnes musiques, mais ça n’est pas une création et à l’arrivée il n’y a pas d’association de ces notes de musiques avec la marque. Je n’arrive pas à comprendre quel est le bénéfice qu’on en tire ? Du côté client aucun intérêt, il n’y a pas d’identification auditive avec une marque. Par exemple : Findus, Vittel, Danette, Belle des champs et je cite les miens. Je me souviens encore de la pub pour Banania de quand j’étais minot.

 

Utiliser une chanson qui existe déjà, c’est comme écouter la radio. La seule explication que je pourrais donner, c’est la peur créée par le marketing de se tromper. Quand vous faites de la création, il y a forcément une audace, un risque. Peut-être que cela fait peur aux annonceurs. Il y a aussi un phénomène de mode, les publicitaires s’inclinent très facilement devant les désirs de leurs clients qui à force de décisions collégiales ne produit que du médiocre, au sens étymologique du terme. Un patron qui a l’audace de dire : « Moi je veux ça et pas autre chose », ça n’est pas pareil.

 

Il y aussi des intérêts éditoriaux qui dépassent le souci de la création. Je n’arrive pas à comprendre l’intérêt de prendre l’édition d’un Stevie Wonder, plutôt que celle d’une musique originale.

 

Est-ce vouloir utiliser le nom Stevie Wonder et profiter de l’association entre les deux ?

Richard Gotainer : Mais il n’y a pas d’association ! C’est un vœu pieu, cela ne se fait pas !

 

À l’exemple de votre musique pour Belle des champs, le produit n’existe plus mais votre pub si !

Richard Gotainer : C’est la démonstration par l’exemple de l’apport de la musique.

 

Il y a une patte Gotainer et cette patte est-elle encore possible ?

Richard Gotainer : À l’heure actuelle elle n’est plus à la mode, mais ça va changer, la pub va changer, car elle est obligée de se renouveler. Pour l’instant elle communique et elle est « corporate », elle est gris anthracite. La pub est une limousine aux vitres teintées qui passe lentement sous des effets de lumières extrêmement beau, on voit pas de quoi on parle mais tout le monde veut monter dedans, quand la voiture est pleine, on en est met une autre derrière et ça fait un enterrement !

 

En image il y a des audaces, grâce au numérique, mais en son, il n’y a plus de création, et ce que personne ne veut comprendre, c’est que l’image à 70 %, c’est du son ! Imaginez « Les aventuriers de l’arche perdue » sans la bande son, vous allez voir le film que vous allez voir.

 

De plus ce sont toujours de musique anglo-saxonne, comme si les entreprises françaises ne pouvaient pas avoir une dimension internationale quand elles parlent français. Les Allemands commencent à faire des pubs en allemands pour le marché français. Et nous on parle anglais, on chante anglais, des chansons qui existent déjà.

 

On se prive de l’association : une mélodie + une marque ?

Richard Gotainer : Oui, d’autant que cela est extrêmement efficace. Pourquoi les agences ne veulent plus faire ça ? Peut-être est-ce un vieux complexe des publicitaires qui veulent s’éloigner de la réclame et faire de la communication. Il y avait une bonhomie et une fraîcheur de la réclame, parfois très ringarde. La pub est devenue un truc sérieux de gens importants qui ont peur.

 

J’espère que cela reviendra avant que j’ai passé la date limite de péremption.

 

Vous avez dans le paysage audio français une place unique autant liée à votre travail en publicité qu’à celui lié à la chanson ?

Richard Gotainer : je suis une des rares qui ait fait autant de créations sur autant de marques différentes et je l’ai toujours fait de tout mon cœur et les défendant bec et ongle devant des clients et des annonceurs. Si vous saviez ce que j’ai entendu, et tous ceux qui ont été dans un studio d’enregistrement le savent, comme « faites-moi la voix plus crémeuse » lorsqu’il s’agit d’un fromage, ou « je voudrais que les tambours soient plus laineux » quand il s’agit d’un Woolmark… Il se dit beaucoup de bêtises, mais on est là pour les entendre. C’est un peu une affaire de spécialistes, il y a des choses qui ne s’expliquent car aucune règle ne le dit et ça, ça gêne les gens du marketing.

 

Il y a dans les entreprises de plus en plus de personnes qui sont issues d’une école de communication pour qui tout passe par des règles et des chiffres à calculer. Sans audace ni surprise. La pub doit surprendre, ravir, égayer, faire rêver, cette fameuse part de rêve dont parlait Séguéla, il ne s’agit pas de mentir mais de récompenser le gars qui voit une pub par un avantage spectateur !

 

Les récompenses dans la pub pourraient-elles aider à faire évoluer le genre ?

Richard Gotainer : Curieusement, j’en ai eu très peu ! Une ou deux, mais ma récompense vient du public. On prend peu la mesure du fait que l’image se surdimensionne avec le son. Sur certaines de mes créations, ils avaient eu la bonne idée de me faire faire la musique avant le story board, parce que la musique a des exigences en termes de mesures, de rythme et de découpages, alors que l’image est plus malléable.

 

Vos pubs ont une existence en tant que telles, la série pour Saupiquet par exemple, et le fait que vous les ayez compilées sur le disque « poil à la pub » le montre ?

Richard Gotainer : Il y a un spectacle, indépendamment du produit, c’est comme un médicament que l’on boirait parce que l’excipient il est bon, et non pas pour le principe actif. Et c’est avant tout mon métier, je suis un décorateur de produit actif, je n’invente pas l’argument, je pars de là.

 

La création de « Belle des champs » ?

Richard Gotainer : C’est un bon exemple, je suis partie d’une « animatique » qui déjà à l’époque était de qualité très médiocre, comme un diaporama et là on voit bien que le son a donné son caractère à la pub.

 

Est-ce que le problème des musiques de pubs en français, est que tout le monde va comprendre, alors qu’une chanson en anglais, on se fiche des paroles ?

Richard Gotainer : Alors ça veut dire que pas grand monde sait le faire. Les mots sont puissants, la connotation déclenche des idées. C’est comme une source lumineuse, un mot agit comme un éclairage et selon celui que l’on utilise le halo est plus moins grand et donne à voir plus ou moins de choses. Parfois il tape à côté, comme quand dans un film on voit s’embrasser un couple dès le matin, moi, j’ai du mal ! Les mots, c’est pareil.

 

Il faut une petite dose d’humilité, on doit disparaître derrière le produit. On est pas là pour faire l’artiste mais pour faire de l’artistique avec le produit. Il faut être très à l’écoute et en même temps se battre.

 

Vous craignez de perdre une partie de vos idées de chansons en faisant de la pub ou bien est-ce que cela les alimentent ?

Richard Gotainer : Non, bien au contraire, cela me fait penser à des sujets vers lesquels je n’irais pas spontanément, ça ouvre des portes. Les contraintes ouvrent vers des horizons.

 

Quelles sont celles de vos chansons qui sont nées d’une de ces portes ?

Richard Gotainer : La plus connue : Primitif / Infinitif. Au début c’était une pub, les trois premiers couplets ont été écrits pour la marque, ceux-là même qui sont dans la chanson. Alors que le client ne donnait pas de réponse, au bout de trois mois, je dis : « On va en faire une chanson ». On presse le 45T, quand le client appelle et donne son accord. Je lui dis que c’est trop tard mais que s’il le veut on lui en fait une autre, comme cela ne le dérangeait pas du tout, les deux versions sont sorties en même temps.

 

La pub peut-elle être un mécène moderne, via le sponsoring ?

Richard Gotainer : C’est très relatif, le client veut un retour sur investissement quand même.

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