Publié dans le n°55 du magazine Longueurs d'Onde
Ils ne sont pas tombés dans la marmite de potion magique, celle où se font les rappeurs à succès et à scandale. Ils ont pourtant trouvé la recette : 1/3 d’honnêteté, 1/3 de générosité, 1/3 de talent, 1/3 de groove qui tue et qu’importent les proportions, quand on aime on ne veut plus compter.
Fondé en 1995 dans la région nantaise par 20Syl, la première trace de ce qui allait devenir Hocus Pocus est une cassette intitulée : « Première formule » : « Pour l’anecdote, on la vendait 10 frs dans la cour du lycée ! ». En 1998, 20Syl et DJ Greem produisent : « Seconde formule » et donnent le ton : un rap humble et raffiné. À partir de 2000 / 2001, l’équipe prend de l’ampleur et devient une formation acoustique : « Ce qui fait la particularité du groupe c’est que nous sommes 9 musiciens sur scène qui faisons du hip-hop avec des inspirations soul, funk et jazz ». Depuis la formule semble magique, trois albums (« 73 touches », « Place 54 » et « 16 pièces »), sortent d’un seul souffle : « presque un album en trois parties », qui avec ses titres cryptés laisse l’auditeur libre de se raconter son histoire : « On aime bien ce côté un peu mystérieux et poétique dans les chiffres, l’utilisation de tout ces nombres, ça crée l’énigme, sans qu’il y est de réponse, à quoi ça fait référence ? À pas grand-chose mais un petit jeu de piste en forme de fil conducteur ».
Hervé Godard est à la basse, Matthieu Lelièvre au piano, David Le Deunff à la guitare, Antoine Saint-Jean à la batterie, DJ Greem aux platines, et Vincent, Thomas et Christophe aux cuivres. Ils ont rejoint le groupe plus récemment pour le live essentiellement. Tous sont des musiciens impliqués dans d’autres formations. En ce sens Hocus Pocus tient du collectif. ??20Syl?? précise : « C’est important que chacun ait son projet personnel pour enrichir le groupe ; Greem et moi-même sommes dans le collectif de DJ qui s’appelle C2C avec lequel on prépare un album. Ça aussi, ça nourri le travail de production. Les cuivres, comme beaucoup, ont mille projets en préparation ; David à son propre répertoire. Chacun dans le groupe a ses petits univers et on aime cultiver ça ».
L’alchimie, ce mélange magique, Hocus Pocus le démarre dès le studio comme l’explique ??20Syl?? : « Cet album s’est créé en 2 temps. D’abord une phase de maquettes où chacun a placé ses compos, on a réuni tout ça et j’ai été pioché dans cette cinquantaine de morceaux pour y trouver l’inspiration pour écrire. Après cette phase de plusieurs mois, il y a eu du nettoyage (on en enlève beaucoup), un peu comme en peinture… sauf qu’on peut faire « pomme Z » ! On peut gratter les couches et ne garder que l’essence même du morceau, afin que chaque chose trouve sa place. Un morceau c’est comme une équipe, chaque instrument, à la bonne place, avec le bon rôle et le bon sens ». Alchimie aussi que celle d’un groupe qui garde les pieds sur terre et les chevilles dans la bonne paire d’Adidas, comme le prouve 20Syl : « Les gens s’imaginent que depuis que l’on est en licence avec Universal on est rentré dans un système avec des gros studios, des gros producteurs derrière et que c’est devenu une grosse machine, alors que finalement depuis la première cassette, les méthodes de travail et le côté artisanal n’ont pas vraiment changé. Avec plus de moyens peut-être, plus de machines, mais finalement on crache pas plus haut que notre bouche ! en termes de production, on fait avec les moyens que l’on a, de façon artisanale. Chacun vient apporter sa petite pincée, et moi j’organise. Je joue un peu le chef d’orchestre qui vient canaliser les énergies, le point de ralliement et de ramification où tous les musiciens viennent se retrouver. On avance couche par couche, tranquillement, sans pression, sans horaire de studio à respecter… Nous sommes vraiment libres en « fonctionnement home studio ». C’est comme ça que l’on arrive à avoir un univers très personnel en contrôlant toute la partie artistique ».
« 16 pièces », le dernier opus, autant que les deux autres, évoque « l'existence, l’être, autant dans nos coups de gueule que dans nos moments de légèreté, ou alors un détail de la vie quotidienne, des questionnements sur la paternité. C’est un album de la trentaine, entre le jeune pour les vieux et le vieux pour les jeunes. Quel est mon rôle dans ce monde, dans mon entourage ? Dans ce métier très ludique, on a du mal à devenir adulte, et la vie d’artiste c’est une vie un peu égoïste ».
Mais un concert d’Hocus Pocus fera mentir son leader ; généreux à la ville, ils le sont plus encore à la scène et là où le succès peut mettre les ego en surchauffe, le collectif absorbe le choc : « Le défi à l’heure actuelle, c’est de récréer, dans des salles de 800 ou 1000 places, une ambiance intimiste où tu as juste à descendre de la scène pour être dans la salle, où chaque personne se sent privilégiée de partager ce moment. Oublier la mise en scène, le lieu pour entrer dans l’humain et se retrouver en contact direct avec les gens. On veut recréer cette ambiance de club dans un Zénith. C’est un défi énorme, j’ai vu tellement de concerts dans des grandes salles où j’avais l’impression de regarder la télé ! Je n’ai vraiment pas envie de ça ». David, le guitariste, ajoute : « Beaucoup d’artistes disent juste merci à la fin, même pas bonjour… Pourtant le public, c’est juste ce qu’il attend : une communication. On croise des gens qui nous ont vu 5, 6 fois et qui ne sont toujours pas blasés ou lassés. J’aime à dire que le public c’est notre dixième musicien, il y a une place qui lui est réservée dans chaque morceau. Que ce soit dans l’échange et la participation, mais aussi dans l’écoute et l’atmosphère que l’on va créer. Et c’est pour ça que les gens viennent s’éclater ; quand ils viennent à un concert d’Hocus, ils se sentent acteurs et pas seulement spectateur ». Et 20Syl de conclure : « There is no Hocus Pocus » : il n’y a pas de trucage ! Ce qui résume assez bien l’esprit du groupe sur scène, c’est du live, du spectacle vivant, quelque chose que l’on ne pourra jamais télécharger ! »
Si on les classe facilement dans le rap en studio, c’est plutôt vers un jazz-rap qu’ils tendent sur scène : « On essaye de digérer toutes nos influences et les retransmettre en énergie scénique ; le funk avec des clins d’œil aux JB's, Maceo Parker, le côté jazz avec le choix des sonorités, des accords. La place du jazz chez nous est dans l’improvisation en live, mais aussi dans les couleurs, par un certains choix d’harmonies, de rythmes, d’accords. On se réserve toujours des places d’improvisation, notamment les cuivres ». Ce que confirme David : « On essaie de garder l’essentiel sur scène et surtout le côté ludique, afin que les gens trouvent leurs places, le studio décrit un temps présent, un instant précis, alors que le live crée une émotion. On passe de quelque chose de très électronique sur l’album à des versions parfois ultra-acoustique qui donnent une nouvelle émotion en live, comme des parties B qui vont faire le petit frisson supplémentaire. »
Rap donc, ou plutôt hip-hop, et la différence est d’importance. 20Syl nous explique : « Le rap est une des disciplines du hip-hop, comme le graffiti, la danse, le human beatbox, etc. Je fais du rap, je mets du chant dans mon rap, je mets de la chanson française dans mon rap et aussi je mets du rap dans la chanson française. On a aussi, dans Hocus Pocus, d’autres ingrédients : le beatmaking (aller chercher des échantillons, de les re-découper, les faire groover d’une certaine manière), mais aussi le deejaying. J’ai l’impression que l’on est le groupe de rap français qui met le plus de scratch dans sa musique, et je te l’assure, j’écoute beaucoup de choses. Chez nous le DJ sur scène a une place prépondérante, alors que dans le rap français, sa place, généralement, est de balancer des bruits de verre brisé ou des instrus au début du morceau ; ambianceur et faire valoir ! Les DJ techniques actuels font de l’électro et de la drum“n”bass, ils ont un peu boudé le rap parce que c’est parfois quelque chose de très cliché et assez pauvre musicalement parlant ».
Dès lors, les questions polémiques peuvent commencer : quelle légitimité dans le rap pour des petits gars de la campagne ? « On a pu nous reprocher de ne pas avoir une « street credibility », on se considére plutôt comme des banlieusards des champs, mais souvent, c’est par des gens qui nous connaissent mal où qui ont une fausse idée de ce que l’on fait. Ces gens-là ont eu l’impression que l’on marchait sur leurs plates-bandes, alors que l’on a vraiment toujours fait les choses de manière sincère et honnête, avec du cœur, en étant fidèle, en ne s’inventant pas une personnalité. Finalement nous sommes aussi légitimes que des mecs qui ont eu une vie difficile et qui se revendiquent du rap pour ce côté très rugueux ». Le rap, comme le jazz et le blues en leurs temps tendraient donc vers l’universalité ? « À partir d’un moment où un style grandit, franchit des frontières et commence à se populariser, forcement des gens se l’approprient, parfois de manière commerciale et purement stratégique, parfois parce que ils sont tombés amoureux et qu’ils en font leur truc, comme il peut y avoir du jazz nordique, avec une couleur très particulière ». Comme en écho à Casey dans le dernier numéro de « Longueur d’Ondes » qui disait : « Pas besoin de toucher le RMI pour avoir une conscience sociale ». Quand la légitimité devient une posture, celle du rappeur de banlieue, c’est que la musique du ghetto devient le ghetto de la musique : « On ne s’approprie pas que le rap et le jazz, mais également la chanson française et on les emmène ailleurs. Nous restons fidèles aux origines du hip-hop en le faisant évoluer. C’est un style qui s’est construit sur le recyclage, par le biais du scratch et du sample, sur le message et la poésie. Il n’y a pas plus libre comme style. Après, on le ghettoïse, on le stigmatise, mais là où il restera fort et créatif, c’est justement en allant se mélanger, en allant voir au-delà de ses frontières. Il se stigmatise un peu lui-même aussi, au même titre que le rock parfois. Quel que soit le style, il y a une stigmatisation extérieure dont les médias sont responsables, mais ils ne l’inventent pas toujours. Ce serait mentir que de dire que certains rappeurs ne jouent pas le rôle que l’on attend qu’ils jouent. Et c’est nécessaire pour qu’existent tous les musiciens qui ont envie de montrer qu’il existe autre chose ». Car, au final, la justesse et l’honnêteté du propos, plus que la justice, donne au groupe toute légitimité : « Notre musique ne parle pas de rues, de guerres de gang, mais évoque des choses qui nous touchent tous les jours et en ça, je pense que notre démarche est honnête. J’ai eu des discussions avec des gars qui viennent du rap plus street et ils respectent énormément Hocus Pocus, pour la transparence de ce que nous sommes ».
Est-ce de vivre en Bretagne qui constitue un des ingrédients du mélange Hocus Pocus : « À Paris, quand on y passe un peu de temps, on se laisse vite prendre par cette vision terre à terre et commerciale de la musique. Où, d’un seul coup, il faudrait rentrer dans certaines cases, dans un certain moule, dans certains réseaux, connaître telle ou telle personne, et je pense que si j’étais parisien je ne ferais pas forcément la même musique, je me serais embarqué dans une dynamique différente. Je pense que cette atmosphère, cette ouverture, la notion du temps qui n’est pas la même à Nantes qu’en région parisienne. On a juste le temps de faire les choses. Le temps que l’on s’autorise à prendre, c’est aussi celui du futur : « L'histoire et l’aventure (je déteste le mot), de cette tournée, de cet album va sans doute s’achever fin 2010. Ensuite on va essayer de se réserver chacun un peu de temps pour s’épanouir dans nos projets individuels, s’enrichir d’autres atmosphères et revenir un peu frais ».